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Rédiger son testament en France sans maîtriser le français : une évolution juridique majeure

Dans un monde où les mobilités internationales se multiplient, de nombreuses personnes étrangères s’installent en France. Une question essentielle se pose alors : comment exprimer ses dernières volontés dans un testament lorsqu’on ne parle pas ou mal le français ?

Ce casse-tête juridique a fait l’objet d’évolutions importantes au fil des décennies, et la récente décision de la Cour de cassation du 17 janvier 2025 marque un tournant décisif.

Avant 1994 : des solutions limitées

Jusqu’à 1994, deux solutions étaient envisageables, mais aucune n’était pleinement satisfaisante :

  • Le testament olographe, rédigé à la main par le testateur dans sa langue maternelle. Cependant, cette option présentait le risque d’une mauvaise interprétation lors de l’application du testament en France.
  • Le testament authentique, dicté à un notaire en présence de témoins ou de deux notaires, mais obligatoirement rédigé en français, conformément à l’article 2 de la Constitution.

Cette dernière solution était souvent difficile à mettre en œuvre : le notaire et les témoins devaient comprendre parfaitement la langue du testateur, faute de quoi l’acte pouvait être remis en cause.

Certaines pratiques étaient en revanche interdites, notamment :

  • Un testament olographe en français rédigé par une personne ne parlant pas cette langue, car cela pouvait entraîner des doutes sur sa compréhension et sa volonté réelle (Civ. 1re, 9 juin 2021, n° 19-21.770).
  • Le recours à un interprète pour un testament authentique, le notaire devant maîtriser lui-même la langue utilisée par le testateur (Cass. 1re civ., 18 déc. 1956).

1994 – 2015 : l’apparition du testament international

Pour pallier ces difficultés, la France adopte en 1994 le testament international, issu de la Convention de Washington du 28 octobre 1973. Son but était de faciliter la reconnaissance des testaments à l’échelle internationale.

Avec ce dispositif, le testateur pouvait :

  • Rédiger son testament dans une langue qu’il comprenait (manuscrite, dactylographiée, etc.).
  • Déclarer devant un notaire et deux témoins que le document contenait bien ses dernières volontés.
  • Signer son testament, ainsi que les témoins et le notaire, qui lui remettaient ensuite une attestation conforme à la Convention.

Cependant, le recours à un interprète restait interdit, ce qui limitait l’accessibilité de cette solution (Cass. 1re civ., 2 mars 2022, n° 20-21.068). Cette contrainte a freiné le développement du testament international en France.

2015 – 2025 : un assouplissement progressif

En 2015, une première avancée intervient avec la loi du 16 février 2015 (L. n° 2015-177). Celle-ci autorise le recours à un interprète pour les testaments authentiques, à condition qu’il soit inscrit sur une liste d’experts judiciaires (article 972 du Code civil).

En revanche, cet assouplissement ne concernait pas les testaments internationaux, où le testateur devait toujours comprendre la langue employée dans son testament.

2025 : l’ouverture aux interprètes pour le testament international

Un tournant majeur a lieu le 17 janvier 2025 avec un arrêt de la Cour de cassation (n° 23-18.823) :

Désormais, un testament international peut être rédigé en français avec l’assistance d’un interprète assermenté.

Cette décision constitue une avancée significative :

  • La langue n’est plus un obstacle à la validité du testament international.
  • Le recours à un interprète garantit la compréhension des volontés du testateur.
  • Les règles de forme des testaments authentiques restent respectées.

Ainsi, rédiger ses dernières volontés en France sans maîtriser le français est désormais possible avec davantage de sécurité juridique.

Un progrès attendu, qui facilitera grandement les successions internationales.